Evaluations CM2

Evaluations CM2 : Roland Charnay analyse les épreuves de mathématiques
Roland Charnay, spécialiste des apprentissages mathématiques au sein de l'équipe ERMEL (INRP) donne son point de vue sur le contenu des exercices mathématiques et leurs modalités d'exploitation.

Dans le diaporama de présentation de l’évaluation mise en place au CE1 et au CM2, le Ministère indique qu’il s’agit d’une évaluation bilan destinée à « mesurer les acquis des élèves » à des paliers du socle commun, avec, entre autres finalités annoncées, celle de « disposer d’un instrument de pilotage du système éducatif, du niveau local de l’école jusqu’au niveau national ». Il ajoute que « toutes les compétences seront évaluées  ».

L’analyse des exercices proposés pour le CM2 et des conditions de leur exploitation ne manque pas de poser de multiples questions et de soulever quelques inquiétudes.

Les exercices proposés sont plutôt classiques et l’équilibre entre les différents domaines travaillés au CM2 est assez bien respecté. Les interrogations concernent plutôt l’adéquation entre les exercices et les compétences mentionnées, les conditions de passation, les modalités d’exploitation et les effets sur le travail pédagogique des enseignants.



- L’adéquation entre les exercices et les compétences

Est-on sûr que les exercices proposés permettent de réaliser le diagnostic recherché ? Dans la mesure où cette évaluation est censée déboucher sur un bilan des acquis des élèves, cette question est évidemment essentielle.

Un seul exercice permet rarement de mesurer l’acquisition d’une compétence. C’est pourtant souvent le choix fait dans ce dispositif. Par exemple, la compétence « Calculer mentalement le résultat d’une opération ou d’une suite d’opérations, ou le terme manquant d’une opération » est évaluée à partir d’un exercice qui comporte deux questions : 0,8 = 8 x … et 0,50 = 2 x … Les réponses à ces deux questions fournissent davantage d’indications sur la maîtrise des nombres décimaux par les élèves que sur la compétence énoncée. De la même façon, la compétence « Résoudre des problèmes relevant des quatre opérations » est évaluée à travers un seul problème qui relève de la division et dont la réponse est un nombre décimal. Comment, à partir de là, déclarer que tel élève qui maîtrise la compétence indiquée et que tel autre qui ne donne pas la bonne réponse (pour des raisons qui peuvent être très variées) ne la maîtrise pas. C’est pourtant ce qui sera fait, à grands renforts de pourcentages médiatiques. Personne n’oserait utiliser un thermomètre aussi imparfait pour indiquer la température d’un individu !

Deux tiers des exercices situés dans le domaine numérique font intervenir des nombres décimaux. Or, ceux-ci ne commencent à être travaillés qu’au CM1 et ne sont souvent repris que dans la deuxième partie du CM2, après janvier donc… Les compétences relatives aux nombres, au calcul et, parfois à la mesure sont donc principalement mesurées dans un contexte numérique que l’on sait par avance encore mal maîtrisé par les élèves. Ces compétences sont d’ailleurs très largement reprises en Sixième. De ce point de vue, il est étonnant de remarquer que la compétence « Multiplier un nombre par 0,1 ; 0,01 ; 0,001 » sollicitée dans l’exercice 0,8 = 8 x … (mentionné plus haut) est précisée comme non exigible dans le cadre du socle commun dans le programme de sixième alors même qu’elle est demandée au milieu du CM2 dans cette évaluation référée à ce même socle… Il faut ajouter qu’aucun des exercices retenus ne vise à mesurer les compétences relatives à l’autonomie et l’initiative, dont on sait pourtant que, pour les élèves français, elles apparaissent comme un élément particulièrement fragile dans les enquêtes internationales (notamment l’enquête PISA). Par exemple, aucun problème demandant une démarche plus personnelle aux élèves n’est proposé.



- Les conditions de passation On remarque d’abord que toutes les séquences sont passées avec un temps contraint pour chaque exercice. Les temps sont, en général, assez bien ajustés, même si on peut noter que dans le problème « de division » évoqué plus haut, les 3 minutes attribuées n’autorisent guère l’élève à mener à bien d’autres procédures possibles, s’il ne reconnaît pas que la division peut être utilisée. De même, il est peu probable qu’une seule minute suffise à traiter les 10 questions relatives aux tables de multiplication (y compris le temps de reformulation de ces 10 questions à la fin) !

Mais, ce qui interpelle le plus dans cette passation c’est bien le moment de l’année où elle est proposée. Par quel miracle pédagogique les enseignants (et les élèves) pourraient-ils avoir traité (et assimilé) toutes les questions du programme en 4 mois ? Comment savoir que les questions posées sont celles qu’il aurait fallu traiter en début d’année ? Qui a eu cette idée folle, un jour, de faire le bilan final d’une action avant que cette action ne soit achevée ? Quelles indications pourra-t-on tirer des échecs à certains exercices alors même que les connaissances correspondantes n’ont pas été étudiées ? On aimerait avoir une réponse claire à ces questions, faute de quoi tous les procès d’intention peuvent être faits. Cherche-t-on à accumuler de mauvais résultats pour mieux accuser les enseignants de n’avoir pas fait leur travail ? Veut-on, par le biais de l’évaluation, remettre en cause une liberté pédagogique (pourtant proclamée) et qui comporte, entre autres, celle de l’organisation des apprentissages sur l’année ?


- Les modalités d’exploitation Le codage choisi a le mérite de la simplicité ; ce sera blanc (1 : réussite) ou noir (0). Il en a aussi tous les défauts et ils sont nombreux. Pas de demi-réussite, pas de repérage des démarches originales, pas d’identification des erreurs, même pas de distinction entre non réponse, réponse erronée et réponse partielle. Pour les résultats des tables de multiplication, soit on les connaît tous (en réalité au moins 9 sur 10), soit c’est comme si on n’en connaissait aucun ! L’élève qui en connaît 8 sur 10 est « sanctionné » comme celui qui n’en connaît aucun. Le retour aux familles sera identique. L’enseignant dont tous les élèves connaîtraient les trois quarts des tables de multiplication (sur la base de 10 questions auxquelles il faut répondre en 1 minute !) sera « jugé » comme celui dont la plupart des élèves ne maîtrisent aucun résultat ! Comment peut-on prétendre, à partir de là, comme c’est souhaité officiellement « disposer d’un nouvel indice de l’efficacité des enseignements à l’école » ?



- Conclusion L’évaluation n’a d’intérêt que si elle apporte des informations sûres et adaptées. Le choix des exercices, le moment retenu pour cette évaluation et les modalités de codage limitent singulièrement les possibilités d’exploitation des évaluations, à la fois du point de vue de l’institution et de celui des maîtres. Il faut donc se demander quel est l’enjeu réel, voulu ou non, de ce dispositif ? Puisqu’il est difficile de considérer qu’il puisse être au service des enseignants (et donc de leurs élèves), on n’ose pas imaginer qu’il puisse être utilisé contre eux, pour limiter encore leur liberté pédagogique, c’est-à-dire tout simplement l’exercice de leur métier…

 source: Snuipp
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